Ça commence par c’est…
Atelier de lecture avec Claudine Valette-Damase – Juin 2021
Nous sommes coupés de notre corps instinctuel du fait du langage. Nous l’avions abordé dans le premier atelier de lecture à propos de l’instinct maternel qu’il n’y a pas.
Dès la naissance et en anténatal, l’enfant est vu à partir du sexe anatomique. Ça commence par un : c’est un garçon, c’est une fille. « Lorsque l’enfant paraît, la langue opère une coupure avec l’anatomie » souligne Claudine Valette Damase dans un article « C’est une fille[1] », écrit à propos du livre Fille[2] de Camille Laurens. « Des paroles qui percutent[3] », nous dit-elle. Puis elle ajoute : « être fille ou être garçon ne va pas de soi, c’est une question à laquelle chaque génération répond à sa façon[4]».
Le roman autobiographique de Camille Laurens dans lequel quatre générations de femme se succèdent, se passe dans les années 60, dans une famille où, tous, attendent un garçon.
La nomination par l’Autre est prise dans son désir : à l’annonce de son sexe anatomique, la mère pense « c’est raté » et le champagne n’est pas sorti. Le père, lui, ne se souvient plus du prénom pour la déclaration de naissance à la mairie et finalement, il la prénomme Laurence en hommage à Laurence Oliver. L’auteure voit dans l’étymologie latine de son prénom, laurus, laurier, un insigne que son père ajoute pour conjurer la « née-sans ». Puis, en se choisissant « Barraqué » comme patronyme dans son roman, elle redouble la masculinité désirée. La grand-mère, quant à elle, apprend par le prénom l’arrivée de sa petite fille et associe immédiatement Laurence à « l’eau rance » !
La question du corps sexué ne se résout pas par la nomination : « La difficulté du corps se rencontre comme corps image, biologique, anatomique et un corps que l’on éprouve et l’éprouvé du corps se fait à partir du langage[5] », nous rappelle Bénédicte Jullien. Lacan indique « L’être sexué ne s’autorise que de lui-même… et de quelques autres[6] ». Cela évoque ce qu’il a écrit deux ans plutôt à propos du psychanalyste.
La question, celle de l’être sexué, « qui s’autorise de lui-même », se pose pour chacun ; le sexuel du corps ne dit rien du genre, ce que le « questionnement trans » met en évidence car il ne s’agit pas uniquement d’un questionnement qui concerne les trans. Pour chacun, il peut y avoir quelque fois un écart entre la nomination, l’identification et l’éprouvé du corps. « S’autoriser de soi-même » veut dire qu’il n’y a pas de garantie, pas de garantie de soi-même par un Autre ; ainsi chacun a à inventer sa façon d’être un homme ou une femme…. et « de quelques autres » signifie dans le lien social.
L’éprouver, éprouver son corps, serait le rapport que chacun, chaque LOM, a à son mode de jouir ?
Dans le livre « Fille », comment qualifier l’usage que Laurence a de ce signifiant « fille » ? Signe du désir de l’Autre, chemin où « surgit une pierre de parole qui tient au sexe[7] » ?
Au fur et à mesure du travail d’écriture, ce signifiant qu’elle fait se dégonfler, se décale. Elle entend les paroles de sa fille « c’est merveilleux une fille[8] ». Le merveilleux n’est pas parce que c’est merveilleux, pris du côté du sens, mais parce que ça met un écart entre c’est et une fille.
Ça commence par c’est…Quelque chose de nouveau commence alors pour elle.
Un garçon, une fille c’est aussi l’universel, la norme mâle.
[1] Valette-Damase C., « C’est une fille », in Le zappeur, newsletter du blog des 6èmes journées de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant, « La sexuation de l’enfant », mars 2021.
[2] Laurence C., Fille, Paris, Editions Gallimard, 2020.
[3] Valette-Damase C., « C’est une fille », in Le zappeur, Institut Psychanalytique de l’Enfant, la sexuation de l’enfant, mars 2021
[4] Ibid.
[5] Jullien B., « Le transgenre : entre fluidité et binarisme », Lacan Web Télévision, 2021.
[6] Lacan, J., Le Séminaire, livre XXI, Les non-dupes errent, leçon du 9 avril 1974, inédit.
[7] Miller J.-A, L’os d’une cure, Paris, Navarin Éditeur, 2018, p. 20.
[8] Laurence C., Fille, Paris, Editions Gallimard, 2020, p ?